17 juin 2010

ROMILLY 2000 ANS D’HISTOIRE

Des origines gallo-romaines, comme son nom l’indique

La vallée de la Seine, traditionnelle voie de passage, damier de bons terroirs, a connu une occupation très ancienne dont les vestiges sont attestés dans toute la région. Dans cet environnement, le site de Romilly a très probablement bénéficié de cette occupation précoce même s’il n’a pas été assez fouillé pour en confirmer l’importance locale ; il est à peu près assuré que l’éminence des Hauts Buissons qui domine la ville à l’ouest a été occupée à l’époque gallo-romaine par une villa dont le propriétaire aurait été un nommé Romilius , en quelque sorte le héros éponyme de la ville.

Du village …

Jusqu’au 18ème siècle , avec environ 1200 habitants vers 1700, Romilly reste un gros bourg rural , à l’écart des noyaux urbains que sont Troyes, 40Km plus à l’Est, Nogent-sur-Seine, 20 Km plus à l’Ouest, Sézanne 25 Km plus au Nord ; lieux traditionnels de commandement, ils le resteront après la Révolution de 1789, voilà pourquoi Nogent-sur-Seine, aujourd’hui trois fois moins peuplée que Romilly, est malgré tout sous-préfecture.
Jusqu’à la Révolution, les terres et le pouvoir de cette communauté rurale étaient, pour l’essentiel, partagés entre une seigneurie laïque et une abbaye. La première avait son château à quelque deux cents mètres au Nord de l’actuelle mairie, rebâti au 18ème siècle, il a malheureusement disparu mais en subsistent quelques belles dépendances noyées dans le bâti, une « rue du Château » et une « rue de la Grille » qui en rappellent l’emplacement. L’abbaye, fondée au 12ème  siècle, avait son cœur dans les terres de « Sellières » où subsiste aujourd’hui la belle maison abbatiale du 18ème siècle et des dépendances. Par un détour inattendu, la gloire du grand Voltaire allait rejaillir sur ce lieu puisque, au terme d’une aventure rocambolesque, la dépouille de Voltaire y fut inhumée quelques années, avant d’être transférée au Panthéon en 1791.
De ce passé rural, pas de traces spectaculaires : les châteaux, démantelés, l’église du village, qui menaçait ruine, démolie en 1905, le cimetière qui l’entourait, transféré à la périphérie : reste l’abbaye de Sellières et, pour qui veut bien flâner dans le vieux Romilly, tel ancien moulin hydraulique, tels anciens lavoirs, et nombre de vieilles bâtisses pour garder la nostalgie d’un passé révolu, certes discret, mais toujours sous-jacent.

… à la ville industrielle

Autant le passé du bourg rural se fait discret, autant saute aux yeux  l’héritage industriel de la ville: chaînage des toits d’usines intimement mêlés au bâti, modestes pavillons ouvriers, jardins ouvriers, c’est comme un petit morceau de la Lorraine industrielle échu en Champagne. Et ce qui est vrai des paysages l’est aussi des hommes avec cette forte proportion d’ouvriers dans la population, cette mentalité toujours imprégnée du sens du travail, des vieilles luttes ouvrières et d’un esprit de solidarité qui continue de vivifier un tissu associatif particulièrement riche.
C’est la bonneterie qui, comme dans toute la périphérie troyenne, instille son industrie dans ce milieu rural. L’aventure commence vers 1750. Dès avant la Révolution française, la bonneterie occupe une place essentielle dans l’économie locale au côté de la sylviculture et des productions agricoles, et compte déjà 700 métiers de bonneterie en 1806 !
L’irruption du chemin de fer achève d’urbaniser et de modeler le bourg. L’arrivée de la première ligne est très précoce puisque venue de Montereau elle atteint la ville dès 1848 ; la ville devient rapidement un carrefour ferroviaire, en relation avec Paris et Troyes et au cœur d’un réseau d’intérêt régional, aujourd’hui désaffecté, mais qui continue de structurer le paysage.
Dès lors la population progresse rapidement : de 3700 habitants en 1845 elle passe à 10000 en 1907 et 14000 en 1930. La bonneterie jusqu’ici dans l’étroite dépendance de Troyes acquiert son autonomie avec l’installation de sociétés et de grandes unités productrices spécifiquement romillonnes : Romilly devient un des tout premiers centres français de production de tissu élastique et de chaussettes et dans la foulée vont y briller les noms fameux de Chantelle, du Coq Sportif, d’Olympia, de Barbara entre autres ...
La guerre de 1870 accentue cette évolution en contraignant la société des chemins de fer de l’Est à déplacer ses ateliers de réparation de wagons de la Lorraine annexée par l’Allemagne, à Romilly. L’atelier va y occuper un espace considérable que le voyageur qui traverse la ville identifie immédiatement en longeant son long mur d’enceinte griffé de vigne vierge. L’atelier comptera jusqu’à près de 2000 employés. Même si aujourd’hui le personnel a beaucoup décru, l’atelier reste l’une des activités phares de la ville, récemment confortée par l’entretien des rames TGV.
Le cœur de cette ville industrieuse bat désormais au rythme de toutes les luttes sociales du pays que ponctuent localement les crises du textile. C’est dans ce contexte ded luttes sociales qu’est élu à Romilly à la fin du XIXème siècle le premier maire ouvrier de France Henri Millet.

Sur le chemin des invasions

Située dans la plaine de Champagne et sur l’axe de la Seine, la ville de Romilly a vu passer bien des invasions, remontées des Normands sur la Seine, chevauchées de la Guerre de cent ans, passage de bandes armées des guerres de religions, invasion en 1814 des Autrichiens à la poursuite de Napoléon Ier , invasion prussienne en 1870. En 1914 face à l’invasion allemande, Romilly est aux avant-postes : Joffre, le vainqueur de la Marne, y fixe pour quelque temps son quartier général. C’est cette même proximité du front associée à la platitude favorable des lieux qui a fixé la présence d’une base aérienne, que cherche à rappeler le monument érigé au cœur du tout nouveau centre commercial qui l’a remplacée et dont subsiste encore le terrain d’envol jusqu'à ce jour siège d’un aéroclub dynamique et d’un atelier de montage d’ULM.
Sans doute la permanence de ces troubles participe-t-elle la sensibilité particulière de la population à la sauvegarde de la liberté : en témoignent le rôle important joué par nombre de Romillons aux heures tragiques de la Résistance,  dont beaucoup y laisseront leur vie. En atteste le nom de nombreuses rues et places et le char « Romilly » juché sur son tertre près du Monument aux Mort, premier char de la colonne Leclerc à être entré dans Paris en libérateur.

Derrière les lieux la vraie richesse de Romilly… ses habitants

L’Histoire de Romilly n’y a pas laissé de grands monuments de pierre propre à retenir l’attention du voyageur pressé, mais elle est imprimée dans l’humble charme du bâti et des lieux-dits et plus encore dans le cœur des Romillons riches et fiers de leur histoire ouvrière et qui savent retenir ceux que ne rebute pas la modestie des lieux.
Jean-Paul DANDRIMONT


NB article écrit en juin 2005 pour le site officiel de la ville de Romilly-sur-Seine sur lequel on peut le retrouver

LES ATELIERS FERROVIAIRES DE LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER DE L’EST

(Aujourd’hui « Établissement Industriel de Maintenance du Matériel de Romilly » de la SNCF)

Qui, venant de Paris pour se rendre à Troyes par la RN 19, traverse Romilly-Sur-Seine ne peut pas manquer cet interminable mur, long de plus d’un km, dont le manteau de vigne vierge griffée au crépis maquille mal la roide austérité. Un mur qui n’invite guère le passant à faire étape…Pourtant, derrière ce mur, depuis 120 ans, s’écrit une grande part de l’histoire de la ville de Romilly-sur-Seine !

1871, l’amputation de la France de l’Alsace-Lorraine vient de faire perdre à la Compagnie des Chemins de fer de l’Est son grand atelier de Montigny-lès-Metz et ses ateliers d’entretien de Metz, Strasbourg et Mulhouse. Aucun atelier existant n’a la capacité suffisante pour absorber la charge de travail qu’on y exécutait. La compagnie conçoit donc le projet de construire de tous nouveaux ateliers. Voilà ce qui va s’édifier derrière ce mur.

Pourquoi le choix de la compagnie s’est-il porté sur la ville de Romilly ?


Avec ses quelque 5100 habitants d’alors, la bourgade était modeste. Mais, située sur la ligne de chemin de fer Paris-Troyes, elle avait déjà un long passé ferroviaire : dès 1842 son conseil municipal avait émis le vœu que la ville fût desservie par la ligne Montereau-Troyes, alors en projet ; en 1848, c’était chose faite. Quelques années plus tard, la construction de voies ferrées d’intérêt régional vers Épernay et Château-Thierry en faisait un carrefour ferroviaire. S’ajoutaient à ces prédispositions de vastes terrains bon marché, la tradition ouvrière d’une ville bonnetière où la Compagnie trouverait aisément un vivier de main d’œuvre pour édifier et faire tourner ses ateliers. 


1874, le choix de la Compagnie était fait. Pour le concrétiser, il allait falloir encore quelques années de maturation du projet et d’âpres négociations avec la municipalité sur le prix et les modalités de cession du terrain. Enfin le 10 juin 1880 la compagnie prenait la décision définitive d’implantation d’ateliers qui seraient chargés de construire et de réparer les voitures de 3ème classe, les fourgons et les wagons à marchandises, de réaliser et entretenir les roues montées, de fabriquer les châssis en fer des voitures et des fourgons à bagages, enfin d’emmagasiner et de débiter les bois nécessaires à tout le réseau.

Entamés en octobre 1882, les travaux sont menés bon train. Dès le 1er avril 1884, le service du matériel prend possession du premier bâtiment achevé, celui du magasin général. S’enchaînent ensuite les 15500 m2 de l’atelier abritant le montage, la peinture et la fosse de visite des freins, l’atelier de l’ajustage et des tours à roues, l’atelier des machines outils hydrauliques et du montage des châssis en fer, l’atelier bois avec sa scierie et ses machines à travailler le bois, deux bâtiments renfermant les générateurs et les moteurs des deux groupes d’ateliers bois et fer, le magasin aux bois, deux étuves pour le séchage du bois, l’installation hydraulique avec ses deux réservoirs de 250 m3 pour la lutte contre le feu et le chauffage à la vapeur, l’aménagement enfin d’un vaste dépôt de bois, le tout sillonné par plus de 26 km de voies. A ce vaste ensemble, l’éclairage est fourni par la mise en service à la fin de 1885 d’une usine à gaz qui alimente 1464 becs de gaz. Au total quelque 26 ha de terrain couverts ou aménagés. 


S’y affaire la plus grande concentration ouvrière de la ville : près de 600 agents au début du siècle, des hommes en très large majorité, une concentration qui culminera à 1827 agents à la Libération, avant de décroître irrémédiablement.

L’impact d’un tel établissement sur la vie et la physionomie de la ville ne pouvait qu’être considérable.


Démographique d’abord. Sous l’influx des ateliers, la bourgade bonnetière de 5100 habitants s’enfle: quelque 7000 habitants en 1886, près de 8000 en 1896, près de 10000 en 1906. De la grosse bourgade bonnetière, les ateliers de chemin de fer ont fait une ville !


L’impact est aussi sociologique : c’est l’époque où se fixe le cliché de la famille romillonne type, ouvrière, laborieuse, revendicative, avec ses enfants de bonne heure à l’usine, les maris cheminots, les femmes bonnetières. Cliché réducteur, certes, mais non dénué de fondement. Et puis, dans une cité où le mouvement ouvrier s’est échafaudé très tôt au travers de mutuelles, des luttes ouvrières et du combat politique, les ateliers deviennent rapidement un bastion du syndicalisme et du combat ouvrier.

Bastion, le mot vaut aussi pour l’impact urbanistique.


26 ha d’un seul tenant, clos par un mur continu, les ateliers sont comme un camp retranché. 120 ans après leur construction les photos aériennes révèlent toujours un espace à part dont le placage artificiel interrompt les cheminements traditionnels. Rien de commun avec les ateliers de bonneterie, dispersés au hasard des voies existantes et aujourd’hui fondus dans le bâti au point de s’y faire oublier.


C’est là le reflet d’un monde dont la symbiose avec la ville n’a jamais fait disparaître le particularisme. Les cheminots ont leurs cités conçues dans le style cité-jardin. Éloignées de plus de deux km du centre, elles durent être reliées au cœur du bourg par un service de ramassage scolaire dès 1887, et qui s’étoffe en 1899 pour prendre la forme d’un petit train qui, quotidiennement, déverse sa petite troupe d’enfants et de cheminots venue des cités, dans les ateliers, la gare et les écoles de la ville. Les cheminots ont aussi leurs institutions particulières : une harmonie avec son propre kiosque planté bien sûr devant la gare, une société sportive, une coopérative de consommation…, autant d’institutions qui viennent doubler des institutions équivalentes déjà existantes localement. Tout laisse l’impression d’une corporation un peu à part, soudée par de forts liens de camaraderie, qui se mêle sans se fondre, fière qu’elle est de son métier, de ses combats et de ses acquis.

Aujourd’hui encore la place des ateliers reste forte
Certes l’effectif a fondu, les métiers ont évolué, et la nostalgie des becs de gaz et du petit train des cités s’est estompée. Mais une grande partie des bâtiments d’origine subsiste, même si bien sûr l’aménagement intérieur a changé. Mais plus encore l’esprit cheminot forgé par les métiers du rail, la camaraderie d’atelier, les luttes ouvrières, la Résistance, y souffle toujours assez pour donner à la ville cette mentalité si romillonne qu’on ne ressent nulle part ailleurs.

Jean-Paul DANDRIMONT

NB article écrit en mars 2002 en préparation d'un article paru sur l'Atlas du patrimoine industriel de Champagne-Ardenne publié sous la direction de Gracia Dorel-Ferré